Aujourd'hui correspondant pour Radio-France à New Delhi, Jean Piel a passé quatre années en Corée de 1992 à 1996. Il raconte dans son livre Corée, tempête au pays du matin calme son engouement pour le pays et ses habitants.

Au travers d'anecdotes et d'analyses, il nous fait découvrir la Corée telle qu'elle se veut être, telle qu'elle est perçue et finalement telle qu'elle est. Dans une série de conférences données en Corée en mai 1999, il revient sur "Les défis que la Corée doit encore relever."

Haniweb vous en présente de larges extraits.

[ Motivations du livre | Les défis à relever]
[Le sens de la Segyewha | Le Monde, les étrangers et la Corée | Les étrangers en Corée | Nationalisme, frein à l'internationalisation]
[ Accepter la différence | Débattre des idées | Jeunesse | Assumer son passé | Où se situe la Corée d'aujourd'hui ? | L'avenir de la Corée ]

LES DEFIS QUE LA COREE DOIT ENCORE RELEVER

PAR JEAN PIEL

Tous droits réservés Jean Piel & Haniweb © Copyright 1999



Motivations du livre


Avant d'aborder le sujet même de cette conférence, je voudrais revenir rapidement sur les circonstances qui m'ont amené à écrire un livre sur la Corée. J'ai donc passé un peu plus de quatre ans en Corée -d'avril 1992 à septembre 1996- et j'ai passionnément aimé ce pays, ses habitants, son ambiance; j'ai été -et je suis toujours très impressionné par son dynamisme, sa capacité à surmonter toutes les épreuves, par ce qu'il a réussi à accomplir en peu d'années... Même si comme beaucoup d'étrangers vivant à Séoul, j'ai aussi parfois été exaspéré par le nationalisme des Coréens, par leur côté moutonnier, par la vie épuisante à Séoul... Mais ces inconvénients n'ont jamais réussi à me faire détester le pays. Je voudrais ajouter que j'ai eu la chance de vivre dans la banlieue de Séoul -à Kwangmyong-shi très précisément-et non pas en centre-ville. Je dis bien la chance car c'était là le meilleur terrain d'observation sur la Corée et les Coréens dans leur vie quotidienne.

"La Corée n'est souvent vue en Europe que comme une immense usine: idée sommaire et dépassée ."

J'aimais donc beaucoup la Corée, mais à chaque fois que je rentrais en France, j'étais découragé de voir à quel point les Français ne connaissent pas ce pays. Pour les plus âgés, la Corée se résume à la guerre de 1950. Pour les plus jeunes, aux Jeux Olympiques de 1988... Surtout la Corée n'est souvent vue en Europe que comme une immense usine, où tout le monde ne pense qu'à travailler pour fabriquer des produits qui inondent nos marchés alors que les Coréens refusent d'acheter nos produits. Autant d'idées sommaires et souvent dépassées.

J'ai donc voulu faire un peu mieux connaître ce pays, essayer de changer l'image de la Corée aux yeux des Français -sans aucune prétention ni ambition excessives- en parlant de la société coréenne, des habitants, de leur façon de vivre, des mentalités, de la vie de quartier, des relation familiales, de la jeunesse, de l'importance de la religion, du sens du groupe... Même s'il y a beaucoup d'histoires, beaucoup d'anecdotes dans ce livre, des sujets sérieux y sont aussi abordés, comme les relations inter-coréennes, la place de la Corée dans le monde avec la fameuse segyehwa, la globalisation, la crise des générations, l'inquiétude des Coréens face à l'avenir dans un pays en mutation, sans oublier la crise économique actuelle...


Les défis à relever


L'intitulé "LES DEFIS QUE LA COREE DOIT ENCORE RELEVER" est un peu provocateur. Il semble indiquer que la Corée n'a pas encore gagné tous ses paris... En fait on parle toujours de la Corée en terme économique. A ce niveau-là, je pense que Séoul a atteint pour partie ses ambitions : devenir une puissance économique qui compte sur la scène internationale. Certes, le pays est aujourd'hui confronté à une sérieuse crise économique. Mais personnellement, je suis optimiste. D'ici deux ou trois ans, la Corée aura surmonté cette crise. Les dernières statistiques semblent d'ailleurs l'attester.

Donc le pari économique semble gagné. Par contre, le pays doit encore relever plusieurs défis sociaux pour s'imposer comme une société mature sur la scène internationale, alors qu'elle est encore actuellement en transition. Je mettrai l'accent sur la jeunesse parce que c'est elle qui aura la charge de relever ces défis, et de construire la Corée de demain.
Défis que je classerai en deux catégories :

- accepter les différences pour construire une société ouverte et tolérante

- mieux affirmer son identité afin de mieux préparer l'avenir



Le sens de la Segyehwa ou du concept de globalisation


Quand j'ai quitté Séoul en septembre 1996, tout le monde parlait de la Segyehwa, mais personne ne savait exactement ce que c'était et chacun lui donnait la définition qui l'arrangeait. Rappelons juste que le slogan a été lancé en novembre 1994 par le président Kim Young-Sam qui avait déclaré que la Corée devait rejoindre le mouvement de globalisation si elle voulait poursuivre son développement économique. L'idée au départ est donc très commerciale.

"La segyehwa est une notion économique, culturelle et relationnelle."

Personnellement, j'aurais une définition plus large de la globalisation : il ne s'agit pas d'accepter tout ce qui vient de l'étranger et de le considérer comme supérieur; il s'agit encore moins de renier sa propre culture et ses propres traditions. Mais il s'agit d'aller à la rencontre du monde -de sa culture et de ses habitants - dans un esprit d'ouverture et de tolérance, en se disant que les autres pays peuvent vous apprendre beaucoup, et que vous pouvez aussi leur apprendre beaucoup, en acceptant que certaines choses soient mieux à l'étranger que chez soi , mais que le contraire est aussi vrai: certaines choses sont mieux chez soit qu'à l'étranger... Il s'agit donc d'aller à la rencontre des autres en acceptant que votre pays, votre culture, votre façon de vivre et de penser ne soient pas par définition supérieurs. Ainsi la segyehwa est une notion à la fois économique, culturelle, relationnelle... La Corée a-t-elle rejoint le mouvement de globalisation défini ainsi ? Oui et non.


Il est certain que la Corée n'est plus le Royaume ermite, comme on surnommait le pays autrefois. De plus en plus de multinationales sont présentes dans la Péninsule. De plus en plus d'étrangers y vivent, ce qui offre l'occasion aux Coréens d'échanger des idées avec eux. De plus en plus de Coréens parlent anglais. Partout dans la rue, on voit la marque de l'internationalisation, par les publicités, les fast-foods... Les produits importés rencontrent un succès croissant. Surtout, les Coréens voyagent de plus en plus à l'étranger, découvrant d'autres cultures et d'autres façons de vivre.

"Dans les esprits, c'est toujours la Corée ET le monde, et non pas la Corée DANS le monde."

Cependant tous ces changements ne doivent pas faire illusion. Le décor change plus vite que les mentalités. Dans les esprits, c'est toujours la Corée ET le monde, et non pas la Corée DANS le monde. On peut donner ici plusieurs exemples. Les hommes politiques déclarent souvent que la globalisation a pour but premier de permettre aux entreprises coréennes de remporter de nouveaux marchés, ce qui est une vision très nationaliste de la globalisation. Les partis politiques n'ont pas de programmes en politique étrangère. La population a souvent une faible connaissance des grands dossiers internationaux et ne s'y intéressent guère; je ne dis pas que les Coréens sont les seuls ainsi, mais c'est un constat.


Le Monde, les étrangers et la Corée


"Le monde est vu comme une entité qui peut apporter des avantages, mais ne doit pas imposer des contraintes."

Au-delà de la mauvaise connaissance de ce qui se passe à l'étranger, les relations entre la Corée et le reste du monde restent difficiles. Le pays a du mal à accepter la réciprocité à la base de relations internationales équilibrées. Quand la Corée exporte 700.000 voitures, c'est normal. Mais si elle en importe 6000, soit 116 fois moins, c'est une invasion. Le monde est donc vu comme une entité qui peut apporter des avantages, mais ne doit pas imposer des contraintes. Les Coréens cultivent aussi un sentiment d'exception qui rendrait leur pays hermétique aux autres, c'est-à-dire qu'ils pensent souvent que leur pays est très différent des autres, et donc qu'un étranger ne pourra jamais vraiment le comprendre.
Ce qui est complexe, c'est que les Coréens aimeraient que l'on connaisse mieux leur pays. Mais ils veulent être connus sans être critiqués; ils veulent qu'on les aime, mais ne peuvent pas être compris. Difficile !

Une vraie globalisation exige aussi de reconnaître que les pays étrangers vous apportent quelque chose, sur le plan technologique par exemple. Ce qui n'est pas toujours facile, car l'admettre serait reconnaître que votre pays est moins performant. Pourtant bénéficier de transferts de technologies n'est pas un problème; tous les pays en bénéficient; le problème est de ne pas le reconnaître.

"Beaucoup de Coréens ne comprennent pas qu'aimer un autre pays ne signifie pas moins aimer le sien."

L'important en ce qui concerne la globalisation est de comprendre qu'elle concerne chaque citoyen. C'est pourquoi je voudrais vous citer une déclaration que m'a faite lors d'une interview un haut-fonctionnaire du ministère des Finances: "Beaucoup de Coréens pensent que la mondialisation n'est qu'un élément de la politique économique du gouvernement. Ils ne comprennent pas que cela suppose un changement de mentalité de chacun, à savoir admettre que nous ne sommes pas les seuls au monde, que notre mentalité n'est pas par définition la meilleure, que la façon de vivre et de penser des autres est parfaitement respectable. En un mot, remettre en cause notre nationalisme excessif. Mais cela sera difficile compte tenu de notre passé et de notre éducation. Beaucoup de Coréens ne comprennent pas qu'aimer un autre pays ne signifie pas moins aimer le sien". Ce dernier point est fondamental: j'ai souvent l'impression que, pour les Coréens, aimer un autre pays, c'est un peu trahir le sien. Ce qui n'est pas vrai.

Reste que la Corée participe incontestablement au mouvement de globalisation. Hélas la crise économique a un peu réveillé les vieux démons du nationalisme. Le premier réflexe, à l'annonce de cette crise, a été de blâmer l'autre: le FMI, les Etats-Unis... Les pompistes refusaient de servir de l'essence aux conducteurs de voitures étrangères, et les consommateurs n'osaient pas acheter des produits importés. Certes, après quelques semaines, les gens ont fait la part des choses et reconnu que les chaebols souvent mal gérés, que les tares du système financier étaient aussi responsables de la crise. Mais ces premiers réflexes sont symptomatiques de ce que la segyehwa n'est pas encore rentrée dans les moeurs.


Les étrangers en Corée


Ce sujet de la segyehwa oblige à parler des relations avec les étrangers. J'ai souvent l'impression que les Coréens sont très désireux de rencontrer des étrangers, de parler avec eux... Mais en même temps, ils ne sont pas à l'aise; ils ne savent pas comment les aborder. Il sont trop gentils ou trop distants, mais ils ont du mal àétablir une relation d'égalité. Il existe -c'est vrai-le problème de la barrière des langues. Je pense que le mieux est de rester naturel et de parler simplement avec les autres. A ce niveau, j'ai toujours été surpris par le nombre d'étudiantes qui partaient en France pour des séjours linguistiques, et revenaient apès trois ans, sans s'être faites d'amis français, car toujours elles étaient restées entre Coréennes. A contrario à Séoul, les étrangers peuvent parfois subir des petites vexations: on refuse de s'assoir àcôté de vous dans le bus, les vendeuses dans un magasin ne viennent pas vous servir, des adolescents font des réflexions en coréen sur votre passage dans la rue...


Cela dit, la situation des étrangers européens ou américains est très correcte dans la Péninsule. Mais ce n'est pas le cas pour les ouvriers philippins, népalais, pakistanais... Beaucoup d'entre-eux sont dans des situations proches de l'esclavage. J'ai fait plusieurs enquêtes sur ce sujet, et j'ai vu des choses scandaleuses. Ces ouvriers étaient traités comme des chiens par leur patron et par leurs collègues... Hélas la majorité des gens se désintéressent du problème. Certes il y a quelques associations d'aide aux travailleurs immigrés, mais elles ont peu de moyens. Certes qu'elles existent est déjà bien.

Autre problème : en cas de conflit entre un Coréen et un étranger, on ne donne jamais raison à l'étranger. J'ai vécu plusieurs situations où, par principe, on donnait raison au Coréen. Sans réfléchir, par réflexe, même s'il était évident qu'il avait tort. L'exemple le plus marquant que je pourrais vous donner concerne un étudiant ivoirien à l'UNS, étudiant en gestion qui parlait parfaitement coréen. Un jour, un professeur a refusé de faire cours en sa présence, décidant qu'un Africain ne pouvait pas savoir parler coréen. Et il a dû quitter la salle. Mais ce qui lui a fait le plus mal, c'est qu'aucun étudiant n'est intervenu en sa faveur. Aucune solidarité de la part des autres étudiants. La presse aussi, dans ses articles, ne donne jamais raison à un étranger contre un Coréen. On a pu le voir dans l'affaire de l'ouverture du marché du riz en 1993 par exemple. A ce chapitre, il faut ajouter la question des mariages internationaux, toujours très mal vus dans la Péninsule.



Nationalisme, frein à l'internationalisation


Comment expliquer ces relations tumultueuses avec les étrangers, ces difficuItés à implanter la segyehwa ? Plusieurs raisons à mons avis. L'histoire bien évidemment. La Corée a été à plusieurs reprises envahie, longtemps colonisée par les Japonais avant de l'être d'une certaine façon par les Américains. Le pays a été une victime de la guerre froide. A cela il faut ajouter le problème de la division territoriale. Tout cela a obligé la Corée à se créer une forte identité nationale et à se méfier de l'étranger. Le pays a longtemps été très fermé. Les Coréens n'ont le droit de voyager librement à l'étranger que depuis 1989. L'internationalisation est quelque chose de nouveau pour eux. Cela ne s'apprend pas du jour au lendemain.

L'éducation aussi est un handicap. L'éducation au sens large, à l'école comme dans les média où l'on parle toujours favorablement de la Corée, de ses réalisation techniques, de sa glorieuse histoire... Pourquoi alors s'intéresser aux autres pays ? Autre point : la forte homogénéité du peuple coréen puisque 99% des Coréens sont d'origine coréenne. Par comparaison en France, la moitié de la population a au moins un grand-parent d'origine étrangère.

Depuis qu'ils sont tout petit, les enfants français ont dans leur classe des blancs, des noirs,des asiatiques, des nord-africains... Ce qui n'est pas le cas en Corée, d'où une moindre habitude à rencontrer des gens différents. Une anecdote à ce niveau, une fois, je regardais un match de football où jouait l'équipe de France à la télévision avec un ami coréen, et il m'a demandé: "mais les Français, vous êtes blancs ou noirs ?". A titre personnel, je suis confiant sur l'avenir de la globalisation en Corée. Je distinguerai le système qui est encore fermé, de la population qui, elle au contraire, ne demande qu'à s'ouvrir sur le monde. Les Coréens me semblent ouverts, accueillant, curieux des autres cultures. Encore une fois, la segyehwa est récente. Elle ne peut pas s'imposer en un jour. Mais elle finira pas s'imposer.

Accepter la différence


Nous avons beaucoup parlé de la globalisation qui représente donc une des premières différences à accepter. Ce n'est pas la seule. Les différences sociales sont souvent mal acceptées en Corée. Solokto en est un symbole. Il s'agit d'une île dont tous les habitants sont des lépreux. Solokto symbolise donc le rejet des malades; on enferme ceux qui font peur loin des villes.
Lors des Jeux Olympiques de Séoul, de nombreux handicapés furent placés dans cette île temporairement. Un médecin m'a expliqué que cette crainte des malades venait du confucianisme qui accorde beaucoup d'importance à l'apparence qui doit être parfaite. En outre, l'importance accordée àla lignée familiale et la croyance en l'influence des ancêtres font que, si vous êtes lépreux ou handicapés, cela signifie qu'il y a eu un grave problème chez vos ascendants auparavant. Ce phénomène de rejet est le même à l'égard des malades du sida. Ceux-ci souffrent d'une grave discrimination sociale; ils perdent leur emploi; leur famille les rejettent; leurs amis s'éloignent d'eux.

Il y a encore d'autres différences sociales qui sont mal acceptées dans la Péninsule: l'homosexualité, les métis, ceux que l'on appelle les Ttugis en coréen. Les enfants métis sont victimes de brimades et devenus adultes, ils ont du mal à s'insérer dans la société.

"Le refus des différences peut s'expliquer par le confucianisme et l'importance accordée au sang."

Ce refus des différences peut s'expliquer encore une fois par le confucianisme et l'importance accordée au sang -c'est le cas pour les Ttugis ou la méfiance envers l'adoption-ou par l'homogéneité de la société sud-coréenne, où le groupe est important, où on recherche toujours le consensus, où sortir du groupe est difficile. Longtemps aussi, le pays ne s'est préoccupé que de son développement économique sans s'intéresser aux questions sociales. Maintenant que le pays est riche, les choses vont pouvoir changer rapidement.

Il est d'ailleurs incontestable que la société coréenne se libéralise de plus en plus. On accepte mieux les handicapés que par le passé. Il existe des associations gay dans les universités, et il y a même eu la première manifestation homosexuelle à Séoul en 1997. Il existe aussi de plus en plus d'association de solidarité en Corée, ce qui prouve qu'on accepte mieux de venir en aide aux défavorisés. Les journaux abordent souvent ces sujets de société. En parler est déjà une première étape. Néanmoins, accepter les différences reste encore un défi pour la société sud-coréenne.


Débattre des idées


Le dernier point que je voudrais aborder dans cette partie concerne les débats d'idée. Je trouve qu'il y a peu de débats d'idées en Corée.
A l'exception du Hankyore Shinmun, les journaux se ressemblent beaucoup et ne brillent par leur originalité. Mais surtout, les gens entre-eux discutent beaucoup, mais n'échangent pas vraiment d'idées sur des sujets sociaux.

"La diversité des opinions reflète la richesse de la société, sa capacité à innover, à créer."

Une étudiante me disait un jour: "A l'université, on ne parle pas politique, mais plutôt chanteur, mode, loisir". Or la diversité des opinions reflète la richesse de la société, sa capacité à innover, à créer. C'est aussi une preuve d'ouverture d'esprit. C'est donc ce qui permet à un pays d'aller de l'avant. Une nouvelle fois, le problème vient de cette société très homogène, où sortir du groupe est mal vu. L'éducation par coeur à l'école ne favorise pas non plus l'esprit critique. Il s'agit peut-être aussi d'une séquelle des régîmes politiques autoritaires du passé où la liberté d'expression n'existait pas. Cette situation devrait évoluer favorablement. C'est important pour la richesse, la tolérance et la capacité d'innover de la société coréenne.


Jeunesse : éducation traditionnelle et exigence de liberté


La génération des 20-30 ans est née dans une Corée riche et démocratique, alors que ses aînés ont vécu les années de pauvreté et de gouvernements autoritaires. C'est donc la première génération à pouvoir s'exprimer librement, voyager, profiter d'un pouvoir d'achat élevé sans subir le stress de la dictature et de la productivité à tout prix. C'est aussi la première génération à vivre dans un monde globalisé. Et c'est elle qui va construire la Corée de demain.

Il est intéressant de savoir si elle va poursuivre le modèle parentale ou si elle va imposer des innovations dans la société. Comme la Corée, cette génération des 20-30 ans vit une époque de mutation. Elle a reçu une éducation traditionnelle mais a une plus forte exigence de liberté. Elle est attachée à sa patrie et tient un discours très nationaliste, mais souhaite découvrir le monde. Elle est soucieuse de se frotter à des idées nouvelles, mais est issue d'une Corée où les débats restent rares, et elle défend elle-même des idées assez conservatrices sur les grands problèmes de société. Des choix que fera cette génération dépend le visage de la Corée de demain.

"Affirmer son identité, cela signifie définir quel type de démocratie l'on souhaite."

Affirmer son identité, cela signifie définir quel type de démocratie l'on souhaite. La Corée s'est sans conteste démocratisée, mais des progrès peuvent encore être accomplis. Il reste des prisonniers politiques; les partis politiques ne sont guère diversifiés idéologiquement; la corruption reste fréquente... La nouvelle génération coréenne souhaitera-t-elle une démocratie forte centrée autour de la personnalité d'un leader comme c'est le cas actuellement, ou une démocratie à l'occidentale plus libérale, reposant avant tout sur des idéologies et des projets de société ?

Sur le plan social, cette nouvelle génération favorisera-t-elle une société égalitaire, plus respectueuse des minorités comme on l'a évoqué précédemment ou sera-t-elle toujours attachée au groupe, au consensus au point de rejeter toute différence, comme les handicapés, les métis... ? Dans le même ordre d'idée, acceptera-t-elle mieux l'égalité entre homme et femme ? Certes la condition féminine s'est améliorée en Corée, mais sur le plan professionnel et même à la maison, les femmes restent souvent soumises et occupent des emplois moins importants que ceux de leurs collègues masculins. A ce niveau, les sondages montrent que les maris participent de plus en plus à la vie du foyer, mais qu'au travail, ils répugnent toujours à être dirigés par une femme. La famille se modernise, mais les pères traditionnels n'ont pas dit leur dernier mot.

Réformer l'éducation est aussi un défi important. Comme tous les pays confucianistes, la Corée du Sud accorde beaucoup d'importance à l'éducation; le taux de scolarisation est élevé dans la Péninsule. Mais tout le monde reconnaît qu'il faut réformer le système scolaire afin de l'adapter à l'évolution du monde; donc une éducation plus ouverte, plus dynamique, plus créative, qui repose moins sur le parcoeur. Or réformer un système éducatif est toujours difficile.


Assumer son passé


La façon dont on répondra à ces différentes questions, à ces différents défis, déterminera ce que sera la Corée de demain. Deux points encore me semblent importants.
D'abord le regard sur le passé. Le passé de la Corée est souvent douloureux, mais les générations précédentes n'ont pas toujours su assumer certains points noirs de l'histoire. On a préféré jeter un voile pudique sur certains événements. Ainsi les Coréens ont énormément souffert sous la colonisation japonaise.

"Le jour où sera publié un livre sur les collaborateurs, la société coréenne aura fait preuve d'une grande ouverture."

Mais il existe aussi de nombreuses ambiguïtés à ce sujet: par exemple, l'attitude d'une partie de la famille royale au début du siècle qui a facilité l'arrivée des Japonais. Le problème aussi des collaborateurs qui n'ont jamais été jugés à l'indépendance et dont certains ont continué à occuper des fonctions importantes. Cela crée un sentiment de malaise qui du coup accentue la haine envers le Japon. Le jour où sera publié un livre sur les collaborateurs, la société coréenne aura fait preuve d'une grande ouverture.

De même, à propos de la libération de la Péninsule, une étudiante m'avait dit un jour: "Les résistants coréens étaient sur le point de chasser les colonisateurs japonais. En larguant une bombe atomique sur Hiroshima, les Américains nous ont volé notre victoire". Cette phrase est navrante de la part de quelqu'un de jeune qui fait des études et devrait donc réfléchir. Car c'est une contrevérité historique. Qu'on le veuille ou non, c'est faux. Or avec ce genre d'idées, on ne peut pas établir de relations sympathiques avec les Américains. C'est pourquoi assumer le passé dans son intégralité -avec ses heures de gloire et ses heures sombres-est un élément de la globalisation, et permet de mieux construire l'avenir.

"Docilité politique contre amélioration du niveau de vie."

Cela permet de mieux construire l'avenir aussi pour des raisons de politique intérieure. Par exemple, l'écrivain Yi Mun-Yol, dans son roman Chungpyon, s'interrogeait: "Qu'y a-t-il dans le comportement de chaque Sud-Coréen pour que dure si longtemps le pouvoir des militaires ?" Réponse de beaucoup d'analystes: "Parce que nous avons échangé notre docilité politique contre une amélioration de notre niveau de vie". Ce qui pose là aussi un problème de conscience quant on pense au massacre de Kwangju.

C'est pourquoi je trouve très encourageant que ce soit les jeunes qui aient mené les manifestations contre les deux anciens Présidents lors de leur procès. A cette occasion, l'un d'eux m'avait déclaré: "Nous ne voulons pas recommencer les erreurs de nos parents qui ont accepté les dictatures du passé sans contester. Nous devons savoir exactement les exactions qu'ont commis les anciens Présidents et les juger pour cela si nous voulons implanter durablement la démocratie en Corée" Réaction très encourageante encore une fois. Evidemment, assumer le passé oblige à se livrer à une exercice d'autocritique, ce qui n'est jamais facile. La France en sait quelque chose qui a mis de nombreuses années avant de reconnaître la responsabilité de l'Etat dans le régime de Vichy, pendant la seconde guerre mondiale, une période qui n'est pas à la gloire de l'histoire nationale.


Où se situe la Corée d'aujourd'hui ?


On parle souvent d'un pessimisme et d'un mal de vivre coréen, et cela malgré le succès économique, la démocratisation et l'amélioration du niveau de vie. Ce pessimisme serait dû au fait que le pays a changé trop vite, et donc que la population a perdu ses repères. Les gens savent que d'autres changements sont inéluctables, mais ils ne savent pas ce que cela va signifier concrètement dans leur vie, d'où une certaine inquiétude.

"C'est cela la globalisation: coexister pacifiquement dans le respect de l'autre; profiter des avantages des deux mondes..."

On dit aussi souvent que la Corée est un pays en transition qui cherche sa voie entre Orient et Occident. Ce dernier point me semble un faux débat. D'abord il est évident que la Corée est un pays asiatique. Pourquoi donc chercher à le placer en Occident ? C'est une aberration... Pourquoi aussi opposer les deux termes ? Orient et Occident peuvent très bien coexister. C'est d'ailleurs cela la globalisation: coexister pacifiquement dans le respect de l'autre; profiter des avantages des deux mondes puisque chacun a beaucoup à apporter à l'autre. On peut très bien déjeuner d'un poulet-frite et dîner d'un pibimpap, écouter du rock californien et apprécier les chants bouddhistes traditionnels, aimer le basket et le taekwondo.

Cela me semble évident, mais beaucoup de Coréens -notamment les plus âgés-ont du mal à l'admettre. Ils pensent qu'il faut être tout l'un ou tout l'autre, qu'en se confrontant avec d'autres modes de vie, la Corée va y perdre son âme. Je ne partage pas cette opinion. Les jeunes coréens qui sortent d'une pizzeria ne sont pas devenus Italiens. Les modes de vie et de consommation évoluent; c'est inéluctable.

"C'est en affirmant davantage son identité asiatique que la Corée sera davantage globalisée."

Quant au débat Orient/Occident, je pense que c'est en affirmant davantage son identité asiatique que la Corée sera davantage globalisée. En effet, on ne peut aller à la rencontre de l'autre que si l'on a suffisamment confiance en soit, si l'on n'a pas peur d'être absorbé par l'autre. Ce qui suppose donc d'avoir une culture et une identité forte. C'est pourquoi la Corée doit affirmer son identité et sa culture asiatique, que la toutepuissance des Etats-Unis dans la région lui a un confisqué un moment. Mais évidemment, affirmer son identité asiatique ne doit pas tourner au délire nationaliste.


L'avenir de la Corée


Précédemment, nous avons posé un certain nombre de question quant aux choix de la nouvelle génération sur la démocratie, les problèmes sociaux, etc... Des réponses qui seront apportées dépend donc le visage à venir de la Péninsule.

Il existe en fait deux écoles de pensée chez les sociologues, les économistes, les professeurs de sciences politiques qui suivent ce sujet.

Une première école pensent que la nouvelle génération va favoriser des changements sociaux radicaux. Professeur d'économie àl'université Yonsei, Park Tae-Kyu parle dans l'un de ses ouvrages d'une génération morale, c'est-à-dire exigeante dans ses revendications. Elle ne réclame pas la démocratisation en général, mais la lutte contre la corruption des hommes politiques; elle ne souhaite pas une amélioration de la qualité de la vie de façon vague, mais lutte pour l'environnement et la défense des plus pauvres. Et ainsi de suite.... Si l'on en croit cette première école, la Corée connaîtra dans la prochaine décennie des changements sociaux majeurs, vers plus d'ouverture et de tolérance.


Mais une autre école conteste complètement cette analyse. Cette seconde école estime que les jeunes font avant tout confiance à leur famille pour la poursuite des valeurs et de la culture. Le monde extérieur aurait peu d'influence sur eux. Les jeunes semblent contestataires. Mais dès que les années passent, ils reviennent vers le mode social dominant. L'exemple en est donné par ceux qui ont violemment manifesté pour la démocratie en 1987 lorsqu'ils étaient étudiants, et aujourd'hui sont cadres chez Samsung ou Hyundai, et n'imaginent pas contester l'ordre établi. L'avenir nous dira laquelle de ces deux écoles a vu juste.


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