[ 2 ] Pourquoi les Coréennes ?
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Le Festival d'Avignon, qui est le plus ancien et le plus connu des festivals de théâtre en France, a fondé sa réputation et fidélisé son public sur un principe établi dès 1947 par son fondateur, jean Vilar : présenter au public le plus large possible, des créations théâtrales, des nouveaux textes aussi bien que des nouvelles mises en scène de textes déjâ connus.
Comment se fait-il alors que ce Festival, si lié au théâtre contemporain, s'attache, par ailleurs, à présenter des formes d'art qualifiées de traditionnelles ou de classiques, lorsque l'occasion est donnée d'inviter des spectacles issus de pays non-européens ?
Ce n'est pas par goût du dépaysement, ni par passion ethnologique, que le Festival s'applique à présenter côte à côte, dans la même édition, les plus récentes recherches scéniques et des formes théâtrales multiséculaires. C'est précisément qu'il en attend une rencontre, un face à face, un trouble même peut-être, jusque dans la perception des spectateurs.
La tradition ne peut se confondre avec l'immobilisme. Et si nous pouvons, nous, Européens, donner plaisir et intérêt à faire entendre des textes datant du 4ème siècle avant Jésus Christ, c'est bien parce que le metteur en scène, dans l'acception moderne de ce mot, est devenu un deuxième auteur apte à transmettre le patrimoine d'hier. Dans la tradition asiatique, le metteur en scène le metteur en espace n'a pas pris la même importance. Mais c'est l'interprète, l'acteur, le danseur qui est l'agent de la création, de la modification, du renouvellement. Somme toute, comme le fait le chef ou le soliste dans le domaine de la musique classique en Europe.
Autrement dit, il n'y a pas à opposer la modernité de la civilisation occidentale et la tradition de la civilisation orientale. Cette opposition binaire est de peu d'intérêt, car ce serait oublier que les interprètes, détenteurs des formes classiques d'Asie, sont également des créateurs, même si l'il européen, insuffisamment exercé, le perçoit mal.
La volonté du Festival est d'être ouvert à ces tentatives, et de faire apprécier
d'autres sources artistiques ainsi que leur évolution récente, contemporaine. Dans un cadre forcément autre que leur lieu d'origine, ce qui suppose, toujours, un effort d'adaptation, une exigence spécifique en terme d'espace, de rythme, de lumière.
Cest ce désir qui a guidé la mise en place du programme coréen, cette année. je n'ai donc pas fait le choix d'un théâtre coréen moderne, au sens occidental. Non pas qu'il soit absent des scènes coréennes mais tout simplement parce qu'il ne me semblait pas apporter au public averti qui est celui du Festival d'Avignon, une radicalité, un étonnement, un changement de monde qui fasse événement. Au titre de la modernité, c'est plutôt vers le film coréen qu'il faut se tourner et c'est pourquoi j'ai demandé au critique cinématographique, Jean-Michel Frodon, d'en présenter certaines uvres, au cinéma Utopia, pendant le Festival.
En revanche, les formes d'art coréen dites classiques ou traditionnelles vont paradoxalement apporter quelque chose de neuf, d'inconnu, au public européen. Mais faudra-t-il parler de traditionnel, ou bien plutôt d'universel, au vu de la virtuosité des musiciens de Samulnori, qui ont si bien magnifié ce genre, ou du spectacle de YI Mae-bang et de l'envoi spirituel qu'évoque sa danse de moine...
Il est des formes artistiques si bien polies par le temps qu'elles touchent à l'intemporel et donc confinent à l'universel. Précisément, parce qu'elles ont été ancrées au fond de l'âme.
Bernard FAIVRE D'ARCIER
Directeur artistique du Festival d'Avignon